Construire autrement avec le réemploi et la réutilisation
Glaner (figuré) : recueillir au hasard des bribes dont on peut tirer quelques avantages
Réemploi : toute opération par laquelle des substances, matières ou produits qui ne sont pas des déchets sont utilisés de nouveau pour un usage identique à celui pour lequel ils avaient été conçus
Réutilisation : toute opération par laquelle des substances, matières ou produits qui sont devenus des déchets sont utilisés de nouveau
Au sens premier, le glanage renvoie au ramassage dans un champ des épis qui ont échappés aux moissonneurs, soit finalement à une pratique plus ancienne que l’agriculture elle-même. Pratique qu’Agnès Varda donna à voir poétiquement dans son documentaire « Les glaneurs et la glaneuse », mettant en scène divers profils d’individus pour certains sachants des droits et devoirs s’y rattachant. Partant de cet exemple propre à l’approche documentaire de Varda et pris dans un sens figuré englobant l’architecture, nous nous intéressons ici au sens que pourrait avoir par extension l’incidence du glanage sur les modes de conception, et plus prosaïquement sur le rapport qu’entretiennent les architectes à la matière.
En guise de terrain d’expérimentation de ce glanage architectural, le bien nommé projet de tiers-lieu Plan B constitue une occasion rêvée de mise à l’épreuve des modes de faire usuels. Par son caractère multi-acteurs, ses divers dimensions sociales et son insertion dans un projet de renouvellement urbain au long cours, ce projet atypique constitue une aventure architecturale au sens où le caractère fortuit des opportunités de gisements participe d’une matérialité déterminée « au fil de l’eau ». Ce dans une logique d’adaptation au sein d’une organisation spatiale d’une parfaite simplicité formelle : 6 portiques d’une portée de 20 mètres séparés d’un entraxe de 5 mètres déterminent un volume non-chauffé au sein duquel vient se glisser un volume chauffé d’une emprise d’environ 150m². Ces deux impératifs programmatiques constituant le canevas sur lequel se greffe le produit d’un glanage d’opportunité.
A rebours de démarches de réemploi ou de réutilisation s’inscrivant dans une démarche de conception qu’on pourrait qualifier de traditionnelle, la dimension aventureuse de l’opportunité est donc ici totalement assumée, et constitue en tant que tel un motif de conception. La démarche de prescription usuelle étant inversée au profit d’une recherche d’agilité dans l’intégration d’éléments aux caractéristiques potentiellement hétérogène, l’itération inhérente au processus de conception étant ici porté à son paroxysme. Avec pour corollaire le paradoxe suivant : pour construire autrement, il faut déconstruire certains processus et modes de faire en dynamitant partiellement le caractère séquentiel d’un projet, en procédant par agrégation d’opportunités sur un canevas programmatique et structurel prédéterminé.
L’enjeu du stockage de ces éléments en amont de leur fourniture aux entreprises est donc ici central, tant il constitue la condition première de l’expérimentation. Charger, décharger, stocker et inventorier devenant l’alpha et l’oméga d’un rapport à la matière éprouvé physiquement par les concepteurs, la maitrise d’ouvrage et son AMO. Les dimensions logistiques habituellement hors champs pour l’architecte étant réinvesties au service du projet, par le biais d’une patiente collecte de produits et matériaux jugés pertinent au gré de chantiers de curage ou de déconstruction souvent pilote, ou bien d’installations éphémères à caractère festif et/ou artistique. Au travers de ces glanages de circonstance se jouant également une déconstruction partielle de la répartition des rôles entre commanditaire, concepteur, fournisseur et entreprises d’exécution. Car le déjà-là rebat les cartes, dès lors qu’il n’existe plus de fabricant garantissant des propriétés à neuf et que la vie en œuvre a pu en redéfinir certaines caractéristiques. Ainsi apparaissent les lieux de stockage temporaires et les assistants à maitrise d’ouvrage spécialisés.
S’agissant des enjeux d’ambiance développés dans le cadre du présent colloque, l’avancement du projet au stade du permis de construire ne permet pas encore de développer précisément la question. D’autant que le processus spécifique de conception par opportunités que génère le réemploi implique un aléa supplémentaire conduisant à de possible ajustements jusqu’au chantier. Du fait d’enjeux de démontabilité découlant de l’inscription du projet dans une démarche d’urbanisme transitoire, on peut cependant retenir que le matériaux bois occupera une place prépondérante dans la réalisation du volume chauffé situé dans la halle. Et ce tant en structure qu’en parement. L’intégration de matériaux métalliques, tel que des profilés ou caillebotis en garde-corps pouvant participer d’un rendu composite assez classique, à ceci près que la présence de défaut d’aspects ou d’usures superficielles trahira la remise-en-œuvre de matériaux usuellement considéré comme des rebuts par le négoce traditionnel. Le recours au réemploi ou à la réutilisation questionne donc le processus de conception et de réalisation de multiples façons, bousculant l’organisation des phases, le positionnement des acteurs comme l’économie du projet. Le séquençage ordinaire des missions devenant plus plastique, et leurs attendus pouvant évoluer au gré d’opportunités par définition imprévisibles. Avec pour conséquence d’impacter les équilibres économiques définis par contrat. La notion de confiance entre commanditaire et architecte est alors primordiale, tant les choix doivent s’opérer à partir de formalisations partielles, à la manière d’une expérimentation. Dans cette optique, l’investissement en phase de conception est nécessairement plus important que dans une démarche de projet classique. Compte-tenu des temps additionnels consacrés au glanage, au transport, puis au stockage, le rapport de l’architecte au dessin en devient différent. Un certain détachement s’imposant, tant sa maitrise devient trop dépendante des facteurs exogènes précités. Ainsi le processus finit par subvertir le rapport de l’architecte au détail, le réemploi devant être compris dans cette configuration comme une pratique de l’adaptation à l’inattendu.

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Citer ce billet : Sylvain Guitard, Simon Galland, Aniss Tlemsamani, “Construire autrement avec le réemploi et la réutilisation” in Fabrique du sensible & mutations des espaces habités, 04/04/2023, https://rencontreaau.hypotheses.org/?p=2485
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Françoise Acquier (3 avril 2023). Construire autrement avec le réemploi et la réutilisation. Fabrique du sensible & mutations des espaces habités. Consulté le 26 mars 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/tlx5