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Qualifier les sensibilités écologiques : démarches participatives

En octobre 2022, les 3ème Rencontres AAU accueillaient une table ronde animée par Perrine Poupin et Théa Manola autour des travaux d’Aymeric Luneau et Gwendoline l’Her. Ces quelques lignes revisitent une partie des échanges.

Mots-clés : Enquêtes de terrain (ethnologie), Démocratie participative, Participation des citoyens, Protection de l’environnement, Vulgarisation scientifique, Expertise

Perrine : Sur vos terrains, vous rencontrez l’un comme l’autre, des phénomènes émergeants presque impalpables, comment cela vous a amené à orienter, voir même réorienter, vos manières d’enquêter ?

Aymeric : Mon intérêt pour la question du sensible vient de ma lecture de la littérature sociologique sur les mouvements sociaux. Afin de se départir d’une approche utilitariste des mobilisations collectives, des auteurs comme David Snow et Robert Benford (Snow et al., 1986 ; Benford et Snow, 2000) ont proposé de partir des processus de cadrage. La réussite d’une mobilisation reposerait ainsi sur la capacité des leaders à aligner la définition d’un problème sur des grammaires publiques. Le processus rendant cet alignement restait néanmoins assez peu documenté. Or dans les différents cas de mobilisation que je suivais, les acteurs rendaient compte d’un temps de latence entre les premiers troubles et leur cadrage en termes de problèmes environnementaux. Un passage dans Pourquoi se mobilise-t-on ? de Daniel Céfaï (2007) illustre bien ce travail de définition. L’auteur propose une expérience de pensée mettant en scène une femme qui, alors qu’elle supporte de moins en moins les tâches ménagères, découvre des théories féministes qui vont l’aider à transformer son trouble en expérience des rapports de domination au sein de son couple. Il me semblait donc intéressant de mettre cette expérience de pensée à l’épreuve de terrain en allant voir comment des “personnes ordinaires” en viennent à vivre un problème environnemental menaçant leur santé et parviennent à le transformer en cause collective. Il ne faut pas oublier non plus que j’ai fait ma thèse sous la direction de Francis Chateauraynaud qui a très tôt placé le problème du tangible et de l’expérience sensible au coeur de ses travaux (Chateauraynaud et Bessy, 1995).

Gwendoline : Pour ma part, lorsque j’ai commencé à m’intéresser aux pratiques d’observation d’habitants équipés de microcapteurs de particules fines par la ville de Rennes, je pensais rendre compte des interactions – au sens d’Erving Goffman (1973) – entre les volontaires, leurs instruments et les milieux. Je souhaitais alors montrer les régimes d’attention, les conduites dans l’espace public, le travail de coordination entre les participants avant et pendant l’observation. Or, en écoutant les conversations lors des ateliers, on comprend très vite que ce qui s’y joue déborde de la situation de mesure. Les habitants ne cessent, par exemple, de discuter de seuils de pollution : seuils de vigilance, seuils d’alerte ; seuils européens, seuils américains. Il y a également les seuils de recommandations sanitaires fixés par l’OMS, sans oublier les seuils de perception, etc. Et, il me sembla important de ne pas détacher mon observation des pratiques de toutes ces références, qu’essaient de comprendre et d’incorporer les habitants : les microcapteurs au final leur permettent tout autant de prendre la mesure des politiques environnementales que de mesurer l’environnement. Comme Aymeric, c’est un article de Daniel Céfaï, qui m’a permis d’opérer un tournant dans ma manière d’enquêter. Dans Comment généralise-t-on ? Chronique d’une ethnographie de l’urgence sociale (2012), le sociologue retrace la manière, dont il a eu besoin de « recadrer la maraude dans son dispositif institutionnel » pour saisir ce qui se joue lors des interactions entre les travailleurs sociaux et les personnes habitant la rue (p.49). Il propose alors d’ouvrir spatialement et temporellement l’horizon d’enquête sans pour autant se détacher d’une description microsociologique, et de composer un chainage entre les situations. Ethnographier des scènes où sont discutées les politiques nationales et européennes, s’est alors imposé : je me suis ainsi attachée à accompagner les agents de la collectivité, lorsqu’ils allaient présenter leurs expérimentations aux Assises nationales, par exemple. Cela m’a permis de montrer comment la mesure est devenue pour l’action publique, un moyen d’ancrer dans l’ordinaire des désordres environnementaux sur lesquels elle peine à agir. L’objectif est de produire un « effet d’entrainement », c’est-à-dire à mener une action qui, on l’espère, entraînerait d’autres actions, qui prises ensemble, auront peut-être des effets sur l’environnement. Mais, l’entraînement reste une mobilisation à bas bruit, car il ne s’agirait pas de troubler l’ordre public ou d’ouvrir une controverse.

Théa : Est-ce que vous auriez des exemples qui donnent à voir ces sensibilités ?

Aymeric : Je donnerais comme exemple le cas des “hypersensibles chimiques multiples”, parce que non seulement les malades mettent en avant leur sensibilité, mais ils ont aussi eu des difficultés à transformer leur sensibilité en expérience collective. En quelques mots, l’hypersensibilité chimique multiple est un syndrome dont la cause est imputée aux substances chimiques présentes dans l’environnement. Dans plusieurs entretiens, les personnes racontent qu’elles ont mis du temps avant de faire le lien entre une multitude de symptômes, qui “étaient vus mais non remarqués” comme dirait Harold Garfinkel (1967), et la pollution de l’environnement. Cependant, les “chimico-sensibles” sont fréquemment pris dans des disputes avec les personnes qu’elles rencontrent, même de leur entourage, quant à la réalité de leur maladie. Ces disputes sont à associer à la « contrainte de vérificabilité » (Chateauraynaud, 2011, p. 161). Comme le détaille Renaud Dulong à propos des témoins oculaires (1998), la suspension du doute à l’égard des personnes dénonçant un problème implique que celles-ci étayent, tôt ou tard, leurs affirmations par des preuves. Dans le cas de l’hypersensibilité chimique, la contrainte est d’autant plus forte qu’elle remet en cause un ensemble de pratiques qui allaient de soi comme faire une lessive, se laver en utilisant du gel douche ou nettoyer le sol avec des produits issus de l’industrie chimique. Or, le syndrome est aussi l’objet d’une controverse scientifique irrésolue. Les personnes sont alors privées d’appuis argumentatifs permettant de supporter la charge de la preuve et rend plus difficile la constitution d’un « public » autour de ce problème. L’exemple de l’hypersensibilité chimique multiple montre que faire une expérience sensible1 ne va pas de soi, que ce soit au niveau individuel ou au niveau collectif. Cela implique un travail de reconfiguration du “stock d’expériences” (Schütz, 1962) afin qu’une situation anodine se transforme en une expérience problématique.

Gwendoline : Les habitants qui viennent s’équiper d’un microcapteur de particules fines, viennent avec leurs savoirs situés de la ville et leur sensibilité à l’environnement. Leurs récits de mesure racontent leurs attachements à ce qui les entourent et nous donnent à voir des sensibilités. À ce sujet, j’ai reconnu quelques similitudes avec les récits biographiques des naturalistes amateurs qu’a recueilli Vanessa Manceron dans son ouvrage Les veilleurs du vivant (2022). Elle montre comment l’attention des naturalistes se fixe sur certaines espèces, souvent suite à une expérience singulière, parfois une rencontre avec un individu pendant l’enfance, qui les amènera à accompagner une espèce jusqu’à en devenir spécialiste. Avec la mesure des particules fines, on retrouve chez certains habitants, cette focalisation de l’attention. La différence ici, est que très souvent, on cherche à remonter à des sources de pollution. Donc, l’attachement peut venir d’un sentiment de répulsion, comme vis-à-vis de la voiture en général, de la présence d’un incinérateur, d’un parking-relais, du métro, etc. Mais d’autres pratiques de mesure existent. Par exemple, une habitante me racontait être venue s’équiper d’un microcapteur pour mieux comprendre le quotidien de son fils, aujourd’hui adulte, qui souffre d’une pathologie respiratoire depuis l’enfance. Elle se disait insensible aux pollutions. Elle espérait ainsi cerner un peu plus précisément les phénomènes de pollution de fond, et partager un peu mieux l’expérience qu’il peut avoir de la ville. L’attention peut ainsi porter sur le milieu de vie d’un proche. J’ai même rencontré un botaniste amateur qui s’intéressait à l’environnement des arbres de son quartier.

Perrine : Vous abordez tous les deux la question des démarches participatives, est-ce que vous pourriez nous en dire plus, notamment comment sont reçus ces savoirs produits par des habitants ?

Gwendoline : Mes interlocuteurs expliquent « ne pas faire de science » pour reprendre leur expression, bien qu’ils fassent des mesures, qu’ils se posent des questions, émettent des hypothèses, tentent de se coordonner pour faire des mesures, etc. Cette revendication, reprise tant par les participants que les organisateurs, rend saillant la faible légitimité des acteurs à produire un savoir métrologique. Par exemple, l’expérimentation est animée par un tandem association et service santé environnement de la ville. Or, la qualité de l’air est une prérogative de la métropole, donc les agents municipaux se trouvent à la lisière de leur périmètre d’action, et il n’est pas rare que ce point soit soulevé lorsque je restitue mes travaux devant des personnes travaillant au sein de collectivités territoriales. De la même manière, le service dédié à la démocratie participative n’intervient pas dans la fabrication des dispositifs. Enfin, l’expertise régionale vient veiller aux informations qui circulent, discuter de conclusions trop rapides par exemple, mais préfère rester en retrait de la mesure. Cette situation délicate pour la ville a renforcé l’argument de mener « avant tout » une démarche de sensibilisation, alors même que certains participants observent des choses, et s’engagent dans une production de savoirs sur l’atmosphère de leur quartier. Après trois années d’enquête, j’ai souhaité restituer mes travaux ethnographiques en leur proposant aux habitants un atelier spéculatif : « et si les millions de points de mesure produits faisaient science ? ». J’avais pour cela rassemblé l’ensemble des mesures et bricolé, avec l’aide d’étudiant, des outils cartographiques qui permettaient de croiser des mesures, chose que l’outil ne permettait pas. La situation sanitaire nous a obligé à annuler ce moment, d’autant plus que plusieurs participants étaient des personnes à risque.

Aymeric : Il me faut préciser d’entrée que je n’ai pas encore eu recours aux démarches participatives comme méthodes de recherche à la différence de Gwendoline. Ensuite, je me suis d’abord intéressé aux savoirs produits par des “publics” – au sens de Dewey – afin de comprendre les raisons de leurs troubles en dehors de tout dispositif participatif institutionnel. Ainsi, faute d’institutions prévues chargées de traiter leurs plaintes, les membres de l’ADVEPP se sont équipés de capteurs afin de rendre visible la présence de perchloroéthylène dans leurs logements. Puis, j’ai travaillé sur la transformation des sciences participatives à travers le cas de la Citizen science. Si les savoirs produits par des habitants dans le cadre d’une “participation sauvage” (Mermet, 2007, p. 372) bénéficient  a priori d’une moindre légitimité que ceux des naturalistes amateurs dont le travail d’enquête est guidé par des protocoles définis en amont par des chercheur.ses, les  sciences et recherches participatives font encore face à un scepticisme quant à la validité des connaissances qu’elles aident à produire. Ce scepticisme existe même parmi les personnes qui portent des projets de ce type et rejoint les observations de Gwendoline. J’ai par exemple été marqué par la directrice d’un programme de sciences participatives que j’ai interviewée qui considérait que les dispositifs de sciences participatives étaient utiles surtout pour sensibiliser les participants, beaucoup moins pour produire des connaissance scientifiques – au sens de résultat publiable dans des revues à comité de lecture. Dans tous les cas, il apparaît que la légitimité des savoirs issus d’enquêtes participatives est liée à leur commensurabilité avec le corpus des connaissances scientifiques. On retombe d’une certaine manière sur le paradoxe qu’Arun Agrawal (1995) a déjà soulevé au milieu des années 1990 sur le fait que ce sont les sciences modernes, dont les sciences sociales, qui déterminent quels sont les savoirs autochtones et ceux qui ne le sont pas.

Perrine : Justement, est-ce que vous pourriez nous en dire un peu sur les participants ?

Gwendoline : La réponse, qu’elle soit donnée par l’équipe qui anime, l’élue ou les participants est la même : on a affaire à un public de « convaincus », « plutôt CSP+ ». Sensibles à la question environnementale, les habitants me racontent, prendre le temps de mener des actions à la lisière des mouvements de mobilisation et d’activisme. Ils s’engagent dans une politique du proche et essayent d’user des ressorts locaux pour opérer des changements dans leur environnement. Ils cherchent à faire plus, m’expliquent-t-ils, mais ne savent pas quoi. Au cours des entretiens, j’observe leur attention se poser sur les pratiques d’autrui en les jugeant parfois avec sévérité. Finalement, les participants ne s’estiment pas être le bon public. Il aurait fallu, selon eux, que les démarches aillent chercher ceux qui « restent à convaincre ». Du côté de la ville, on espérait justement que ces convaincus deviennent des ambassadeurs auprès de leur entourage, à la manière des acteurs-relais en santé publique (Baudier et al., 1996). Ce qui était marquant, c’est qu’ils n’étaient pas d’accord sur le fond des actions à mener et se réfèraient à des écologies politiques différentes, sans toutefois ouvrir de débat lorsqu’ils étaient en atelier.

Aymeric : Effectivement les travaux mettent en avant une certaine homogénéité socio-culturelle du public des sciences et recherches participatives. C’est d’ailleurs pour résoudre ce problème que la communauté des Citizen Science plaide pour que les dispositifs participatifs soient plus “horizontaux” et partent des questions que se posent les habitants d’une ville par exemple à l’instar de l’expérience analysée par Gwendoline. Les travaux s’inscrivant dans le cadre de la justice environnementale montrent en effet que les publics tendent à être plus diversifiés lorsqu’ils se constituent à partir d’une expérience commune. Du moins, la justice environnementale a émergé aux États-Unis d’Amérique à partir de mobilisation de minorités pour que soit reconnue la nature environnementale de leur problème de santé. Mais là encore la réussite de ces mobilisations dépend notamment de leur capacité à tisser des liens avec des chercheurs.

Théa : Je trouve que vos recherches viennent nourrir des questions qui se posent dans les travaux sur le sensible, et je me demande : est-ce que vous remarquez des évolutions avec les années ?

Gwendoline : Je n’ai pas assez d’années de recherche pour saisir personnellement de telles évolutions, mais j’observe certains de mes interlocuteurs, notamment ceux qui travaillent sur les sujets environnementaux depuis longtemps, exprimer leur difficulté à vivre les transformations des milieux, au travers de mesures, de rapports, de témoignages, de scénario, etc., qu’ils manient au quotidien, sans pour autant voir de réponses adéquates advenir. Je pense à une scène en particulier. Elle s’est tenue lors de la semaine européenne des objectifs du développement durable à Rennes en 2018. Durant une table ronde, la maire de Rennes présentait la politique environnementale de la ville en mettant l’éducation et l’exemplarité des enfants au centre. On retrouve ici l’idée, issue des travaux d’Hans Jonas à la fin des années 1970 sur le principe de responsabilité (2013), que les jeunes générations sont d’une part les principales victimes des futurs problèmes environnementaux, et que d’autre part une force mobilisatrice qu’il s’agit de constituer. Au milieu de la table ronde suivante, alors que les autres invités abondent en ce sens, une personne du Ministère de la transition écologique et solidaire à qui on donne la parole pour tout autre chose, leur répond :

  • MTES. Moi, il y a un débat que j’aimerais lancer sur la question des jeunes et des moins jeunes… (Il hésite). Nous, ce qu’on dit, c’est qu’on ne peut plus attendre. (Silence). Le changement climatique, c’est maintenant. La perte de biodiversité, c’est maintenant. Et donc les décisions, on ne peut pas les renvoyer à nos enfants et aux générations futures. C’est vraiment aux décideurs que nous sommes, donc plutôt aux gens de ma tranche d’âge. (Il semble avoir passé le cap de la cinquantaine). Désolé de le dire, c’est plutôt à eux qu’il faut demander des comptes et demander d’agir. Et en plus, ce qu’on constate, et bien, c’est que ce n’est pas forcément vrai que ce sont les enfants qui sont prescripteurs. Ce sont plus souvent les personnes âgées dans les faits. (Il commente pendant une petite minute les résultats d’une étude). Il faut se méfier de ne pas tout renvoyer sur la jeune classe et les classes d’avenir et bien se préoccuper de faire changer les comportements dès maintenant… (Le silence s’installe un court instant sur scène).
  • ANIMATRICE. Ce que j’entends, ce que vous nous dites c’est que la sensibilisation, c’est important, il faut la faire, mais qu’il faut agir maintenant, et que la sensibilisation, ça ne suffira pas. Il faut d’abord de l’action. C’est ça ? (Le représentant du Ministère reste silencieux, au bout d’un moment, l’animatrice se tourne vers une chargée de mission de la Dreal).
  • DREAL. Ben, oui… (Des rires s’élèvent dans la salle et s’étendent à la scène, elle enchaîne). La réponse est oui, très certainement. Je voulais juste redonner quelques chiffres…

Et, les chiffres redonnés sont ceux de la pollution du littoral par les nitrates et les crèmes solaires, du continent de plastique, des risques d’immersion, etc. Le débat sur la question des générations spécifiques en tant que catégorie opérante de l’action environnementale ne prend finalement pas, faute de chiffres adaptés. Dans cette scène, qui m’a marquée durant ma thèse, on décèle une usure profondément intime qui d’un coup s’exprime en public, et dont la présence tétanise l’auditoire. Depuis, j’essaie de prêter attention à ces moments de troubles.

Aymeric : Je suis également bien en peine de répondre autrement qu’en m’appuyant sur . Mes recherches au MNHN et à l’INRAE s’inscrivaient dans un moment particulier de l’histoire des sciences et recherches participatives en France et en Europe : celui de leur institutionnalisation. On observait non seulement un processus de reconnaissance via la multiplication des rapports, mais aussi une forme d’autonomisation à travers la constitution de communautés épistémiques et une intégration dans les institutions de recherche avec la création de services spécifiques et plus récemment le programme « Science avec et pour la société » de l’ANR. Cette institutionnalisation va par ailleurs de pair avec le mouvement de la démocratie dite “participative” qui existe depuis vingt ans au moins (Blondiaux et Fourniau, 2011). Je sortais donc de ces recherches avec un regard optimiste quant à la possibilité de construire un  système de production des connaissances pluraliste. Toutefois, depuis que je m’intéresse aux trajectoires sur les réseaux sociaux numériques des controverses sur les effets des pesticides, j’observe aussi l’émergence au sein de ces espaces d’acteurs se disant rationaliste (Laurens, 2019; Foucart, Horel et Laurens, 2020) qui, tout en critiquant l’irrationalité des mouvements écologistes, militent pour un retour à la république des experts. On peut aussi être déçue par le cadrage du programme « Science avec et pour la société » de l’ANR qui met la production des connaissances au second plan pour se centrer sur la sensibilisation et la culture scientifique. La question qui se pose ou du moins que je me pose est celle du sens à donner ces deux mouvements antagonistes2. Doit-on considérer l’amplification des discours rationalistes comme la fin d’un cycle politique initié dans les années 1990 avec les théories de la démocratie participative ? Où signe-t-elle au contraire un bouleversement des rapports de force conduisant les tenants d’un « solutionnisme technique » à chercher dans l’espace public les appuis qu’ils ont perdu ou craignent de perdre dans le champ de la production des connaissances ?

Ecouter le podcast sur la chaine CanalU des rencontres AAU

Bibliographie

Agrawal Arun, 1995, “Dismantling the Divide Between Indigenous and Scientific Knowledge”, Development and Change, 26, 3, p. 413‑439. DOI : 10.1111/j.1467-7660.1995.tb00560.x

Baudier François, Bonnin Fabienne, Michaud Claude, Menervini Marie-José, 1996, Approche par les pairs et santé des adolescents, Séminaire international francophone, Besançon, France, 5-6-7 décembre 1994. Vanves, CFES.

Benford Robert, Snow David, 2000, « Framing Processes and Social Movements: an Overview and Assessment »,Annual Review of Sociology, 26, p. 611‑639. DOI : 10.1146/annurev.soc.26.1.611

Blondiaux Loïc, Fourniau Jean-Michel., 2011, « Un bilan des recherches sur la participation du public en démocratie : beaucoup de bruit pour rien ? », Participations, 1, 1, p. 8-35 DOI : 10.3917/parti.001.0008

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Cefaï Daniel, 2012, “Comment généralise-t-on ?“, In : Emmanuel Desveaux, Michel de Fornel (dir.), Faire des sciences sociales. Généraliser, (Cas de figure ; 23) Paris, Éditions de l’EHESS. p. 31-57  DOI : https://doi.org/10.4000/books.editionsehess.1193

Chateauraynaud Francis, 2011, Argumenter dans un champ de forces. Essai de balistique sociologique, Paris, Petra (Pragmatismes).

Chateauraynaud Francis, Bessy Christian, 1995, Experts et faussaires. Pour une sociologie de la perception, (Collection Leçons de choses) Paris, Métailié.

Dulong Renaud, 1998, Le témoin oculaire. Les conditions sociales de l’attestation personnelle, (Recherches d’histoire et de sciences sociales) Paris, Éditions de l’EHESS.

Erving Goffman, 1973, La mise en scène de la vie quotidienne, tome 1 & 2, Paris, Les Éditions de minuit.(Le Sens commun)

Foucart Stéphane, Horel Stéphane, Laurens Sylvain, 2020, Les gardiens de la raison: Enquête sur la désinformation scientifique, La Découverte (Cahiers libres).DOI : 10.3917/dec.fouca.2020.01.

Garfinkel Harold, 1967, Studies in ethnomethodology, Englewood Cliffs, N.J., Prentice-Hall

Hans Jonas, 2013, Le principe de responsabilité : une éthique pour la civilisation technologique, Editions du Cerf (Passages)

Laurens Sylvain, 2019, Militer pour la science: les mouvements rationalistes en France (1930-2005), Paris, Éditions EHESS (Collection En temps & lieux), 244 p.

Manceron Vanessa, 2022, Les veilleurs du vivant : avec les naturalistes amateurs, Paris, Éditions La Découverte, (Les empêcheurs de penser en rond)

Mermet Laurent, 2007, « Épilogue. Débattre sans savoir pourquoi : la polychrésie du débat public appelle le pluralisme théorique de la part des chercheurs », in Le débat public : une expérience française de démocratie participative, La Découverte, (Recherches),p. 368‑380.DOI : 10.3917/dec.blond.2007.01.0368

Schütz Alfred, 1962,The problem of Social Reality, The Hague, Martinus Nijhoff.(Collected Papers ; 1)

Snow David., Rochford Burke, Worden Steven, Benford Robert, 1986, « Frame Alignment Processes, Micromobilization and Movement Participation », American Sociological Review, 51, 4, p. 464‑481.DOI:10.2307/2095581

Citer ce billet : Gwendoline l’Her et Aymeric Luneau, “Qualifier les sensibilités écologiques : démarches participatives” in Fabrique du sensible & mutations des espaces habités, 03/02/2023, https://rencontreaau.hypotheses.org/?p=2311.

  1. Une expérience n’est-elle pas nécessairement sensible ? []
  2. Le mouvement de l’institutionnalisation des sciences et recherches participative d’un côté, et celui d’une résurgence des rhétoriques rationalistes de l’autre. []

OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Gwendoline l'Her (3 février 2023). Qualifier les sensibilités écologiques : démarches participatives. Fabrique du sensible & mutations des espaces habités. Consulté le 18 février 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/tlx3


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