Ambiances lumineuses : perceptions/conceptions
Dans un contexte de forte mobilisation autour des économies d’énergie, la gestion réfléchie des flux lumineux a un rôle à jouer dans les projets d’architecture. Par ailleurs, la lumière naturelle porte des valeurs essentielles, affectives et culturelles, qui participent aux qualités des espaces intérieurs. Nombreux sont les architectes qui s’en saisissent pour créer des ambiances, révéler des volumes, rythmer un parcours et émouvoir.
Mots-clés : ambiance, lumière, perception, conception architecturale, logement
Lumière et logement
Si les lieux de travail ont fait l’objet de nombreuses recherches sur la conception et la perception de leurs qualités lumineuses, peu de travaux s’intéressent à d’autres espaces, bien qu’il ait été montré que l’usage de l’espace a un impact sur la manière dont les conditions lumineuses sont évaluées [Chamilothori, 2019]. En effet, peu de travaux existent sur les perceptions des conditions lumineuses d’espaces dédiés spécifiquement à l’habitation. Pourtant, les logements portent pour leurs habitants des dimensions affectives et émotionnelles qui laissent envisager un intérêt particulier pour la dimension qualitative de la lumière [Drozd et al., 2016]. Des pré-supposés culturels agissent sur l’évaluation des environnements lumineux et les choix de conception comme le montre l’analyse des productions théoriques et construites des architectes du XXème siècle [Siret, 2013].
Néanmoins, quelques recherches ont été effectuées au sein de notre laboratoire et ont notamment montré que :
- dans les petites annonces immobilières, il existe une relation entre le fait de mentionner une qualité d’ambiance (notamment lumineuse) et le prix de vente affiché qui peut s’élever jusqu’à plus de 15% pour les qualités relatives à la lumière naturelle ou à l’exposition [Rodriguez et al., 2004].
- la présence de taches de lumière solaire dans un environnement intérieur modifie positivement, de manière inconsciente, la perception d’un espace observé à partir d’une photographie [Drozd et al., 2018]. Les espaces avec des taches de lumière sont ainsi jugés plus agréables, plus chauds, plus gais, plus apaisants et plus accueillants que les mêmes espaces sans tache solaire.
Adaptation des maisons individuelles existantes à la transformation socio-écologique des milieux de vie
Dans le cadre d’une récente recherche [Nussaume et al., 2021], nous avons étudié le potentiel d’adaptation et les mécanismes de transformations de maisons individuelles existantes (construites dans les années 1950) dans un contexte de transition énergétique. Le quartier étudié était particulièrement intéressant car situé dans une zone de forte pression immobilière, avec une population en mutation et un enjeu patrimonial puisque ces maisons ont été construites par l’association des Castors de l’Ouest dans la période d’après-guerre.
Parce que le logement individuel induit une dimension affective très forte entre l’habitat et son milieu de vie (sa maison, son jardin, son voisinage), nous avons donc mis en place une méthode nous permettant d’aborder à la fois des aspects relatifs à la consommation énergétique des logements (donc plutôt des aspects quantifiés et techniques) mais aussi des aspects relatifs aux parcours de vie, aux modes de vie et aux ressentis des habitants. Est apparu rapidement un fort attachement des habitants à l’ambiance de village dans la ville du quartier grâce à la présence importante de la végétation dans les jardins individuels mais aussi grâce au système viaire sous forme de ruelles et placettes ainsi qu’à l’aspect pittoresque des façades des maisons avec leurs encadrements en brique et leurs clôtures basses.
Afin d’étudier les différentes transformations réalisées sur les maisons de ce quartier au cours du temps, plusieurs méthodes ont été mises en œuvre :
- un suivi des transformations ayant fait l’objet d’une démarche réglementaire en mairie
- un inventaire photographique et un relevé systématique de chacune des maisons avec les modifications extérieures observées
- des entretiens auprès des habitants sous forme de visites commentées. L’objectif était d’identifier les freins ou les leviers rencontrés dans la réalisation et/ou la projection de travaux permettant d’adapter leurs maisons à leurs besoins actuels et à l’amélioration de la performance énergétique.
Nous avons pu observer que les maisons atteignaient des niveaux de performance énergétique satisfaisants (comparables aux logements neufs construits actuellement) mais qu’elles étaient aujourd’hui arrivées au bout de leur potentiel d’amélioration énergétique à cause notamment du mécanisme de patrimonialisation en cours qui les figent et les empêche par exemple, de mettre en œuvre facilement une isolation par l’extérieur ou d’aménager les combles en assurant un confort d’été. Ainsi, conserver la charmante ambiance champêtre de cité-jardin tant appréciée, se traduit inévitablement par un plafonnement de la performance énergétique. Pour aller plus loin, il serait intéressant de mener désormais un raisonnement à l’échelle collective (celle du quartier) plutôt que de raisonner à l’échelle individuelle. Avec son association d’habitants et son histoire liée aux Castors, le fort sentiment de communauté qui existe actuellement pourrait donner lieu à la mise en place d’une communauté énergétique pour une production électrique partagée. Ce système en gouvernance locale serait un moyen de compenser l’excès de consommation des logements mais serait aussi le moyen de faire en sorte que les habitants se réapproprient l’histoire des Castors en partageant un projet commun.
Perception et conception des ambiances lumineuses
Dans la recherche intitulée « La conception des ambiances lumineuses dans les extensions de maisons individuelles : entre efficacité énergétique et cultures sensibles » [Drozd et al., 2013] nous nous sommes intéressés aux flux lumineux dans le logement en considérant à la fois leurs dimensions techniques et sensibles. Le constat de départ reposait sur l’ambivalence remarquée entre : d’une part, les contraintes liées à la recherche d’efficacité énergétique et d’autre part, les cultures sensibles qui posent des ambiguïtés inhérentes aux percements : voir/ne pas être vu, gestion de l’intimité/grandes ouvertures etc. L’enjeu consistait à aider les particuliers à transformer leur demande qui peut être enfermée dans un cadre utilitaire, programmatique et pragmatique pour exprimer des envies en matière d’ambiance lumineuse. Il s’agissait également de mettre la problématique de l’éclairement dans le débat du projet.
Nous avons mis en place un suivi de projets d’extensions de maisons individuelles auprès d’architectes et de leurs clients ce qui a permis de montrer que les habitants formulaient leurs souhaits lumineux principalement en terme quantitatifs (par exemple : « je veux plus de lumière ») et seulement à caractère visuel (pas de prise en compte de l’impact thermique du rayonnement). Du côté des concepteurs, on a montré que le rayonnement naturel est abordé de manière intuitive, sans évaluation plus précise de ses différents impacts lumineux ou thermiques et des conséquences éventuelles en matière d’usage, de confort ou de maîtrise de l’énergie, notamment pour ce qui concerne les surchauffes estivales. Ce constat attendu a déjà conduit différents chercheurs et professionnels à rechercher depuis quelques années une plus grande démocratisation des outils de simulation lumineuse dans les projets d’habitat ordinaire, de manière à mieux anticiper les éventuels problèmes posés par une approche trop sommaire des flux lumineux. Il nous a donc paru nécessaire de nous interroger sur la manière dont les particuliers appréhendent ces évaluations techniques. Pour répondre à cette question, nous avons mené des enquêtes en magasin de bricolage afin d’évaluer le niveau de compréhension d’images de simulation lumineuse présentées sur des supports cartonnés : taches solaires, durées d’ensoleillement, facteur de lumière du jour, luminances et images photoréalistes de l’espace de vie avant et après extension d’une maison ordinaire.
Nous avons notamment montré que, dans le cadre d’un projet d’extension de maison individuelle, la représentation des situations lumineuses existantes permet de faire appel à l’expérience et au vécu personnel de l’habitant sur les qualités lumineuses de son logement. Il est donc nécessaire que les professionnels établissent un diagnostic lumineux de l’existant et le partagent avec les habitants. De même, il est nécessaire de représenter l’environnement extérieur de la maison pour déclencher une réflexion sur les articulations entre le dedans et le dehors. Saisonnaliser l’expérience en mettant en parallèle les situations d’hiver et d’été, et lorsque cela fait sens, les situations de mi-saison, notamment pour l’ensoleillement, permet de mettre en avant les effets différenciés du soleil dont les habitants ont déjà repéré les manifestations saisonnières particulières. L’utilisation de vues intérieures immersives en plus des vues techniques, utilisées habituellement pour montrer les volumes de la maison, aide à l’appropriation des résultats. Les images ravivent des souvenirs sensibles et des éléments de connaissance intime du logement, qui n’auraient peut-être pas été mis au jour par une autre méthode.

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Bibliographie
CHAMILOTHORI, Kynthia, CHINAZZO, G, RODRIGUES, J, DAN-GLAUSER, E-S, WIENOLD, J, ANDERSEN, M, 2019. “Subjective and physiological responses to façade and sunlight pattern geometry in virtual reality”. Building and Environment 150 [en ligne]. Mars 2019. [Consulté le 11 janvier 2023]. DOI 10.1016/j.buildenv.2019.01.009
DROZD, Céline, REQUENA RUIZ, I, SIRET, D, 2018. L’éternel été chez-soi, Dispositifs contemporains d’artificialisation du rayonnement solaire et de la lumière naturelle [en ligne]. Les chantiers Leroy Merlin Source n°30. [Consulté le 11 janvier 2023]. Disponible à l’adresse : https://hal.science/hal-02188438/document
DROZD, Céline, REQUENA RUIZ, I, SIRET, D, 2016. “Matérialités et immatérialités de la lumière chez soi : expérience sensible et pratiques habitantes”. Cahiers Thématiques. 15 Villeneuve d’Ascq : École nationale supérieure d’architecture et de paysage de Lille, pp. 131-141. [Consulté le 11 janvier 2023]. Disponible à l’adresse : https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01300649v1
DROZD, Céline, SIRET, D, 2013. La conception des ambiances lumineuses dans les projets d’extension de maisons individuelles : entre efficacité énergétique et cultures sensibles. Les Chantiers Leroy Merlin Source. [Consulté le 11 janvier 2023]. Disponible à l’adresse : https://hal.science/hal-02477890
NUSSAUME, Yann (Coord.), SIRET, D, DROZD, C, PARIS, M, KAZIG, R, DIAZ-LOPEZ, M, VARLET C, BARLET, A, BRUNEAU, D, 2021. Individuel dess(e)in. Quel avenir pour le parc des maisons individuelles en première couronne des agglomérations françaises face à la transition énergétique ? [en ligne]. Ministère de la Culture. [Consulté le 11 janvier 2023]. Disponible à l’adresse : https://hal.science/hal-03760978v1
SIRET, D, 2013.” Rayonnement solaire et environnement urbain : de l’héliotropisme au désenchantement, histoire et enjeux d’une relation complexe”. Développement durable et territoires, 4 (2), [Consulté le 11 janvier 2023]. Disponible à l’adresse : http://developpementdurable.revues.org/9767.
RODRIGUEZ, Gabriel, SIRET, D, 2004. « Sympathique maison ensoleillée de 4 chambres… », La maison individuelle dans les petites annonces. In : COLLIGNON, Béatrice, STASZAK, J (éd.) Espaces domestiques : construire, habiter, représenter [en ligne]. Rosny-sous-bois : Bréal. pp 384-399. [Consulté le 11 janvier 2023]. Disponible à l’adresse : https://hal.science/halshs-00576022v1
Crédit de l’image à la une : Photo personnelle, Céline Drozd, 2015, Licence : Tous droits réservés
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Céline Drozd (3 février 2023). Ambiances lumineuses : perceptions/conceptions. Fabrique du sensible & mutations des espaces habités. Consulté le 26 mars 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/tlx2