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Ambiances, milieu, paysage : actualités et perspectives d’un débat fondé

Ce billet s’inscrit dans la table-ronde « Ambiance – Milieu – Paysage » qui s’est tenue lors de la seconde Rencontre AAU : Situer les approches en termes d’ambiance. Faisant suite aux interventions de Pascal Amphoux, Théa Manola, Yann Nussaume et Frédéric Pousin. On y synthétise un ensemble de réactions faites « à chaud » relatives à celles-ci et propose quelques pistes d’ouverture des réflexions.

Mots-clés : Écologie, Environnement, Paysage, Architectes paysagistes, Vie intellectuelle — Histoire

Cette table ronde entend revisiter une problématique historique pour le Cresson qui concerne l’articulation de la notion d’ambiance avec celles de milieu et de paysage, dans leurs relations de proximité mais aussi de distance. Cette rencontre est également placée sous le signe de deux intentions. D’une part, les organisateurs, Rainer Kazig, Petra Marguc et Jean-Paul Thibaud, soulignent l’enjeu de ne pas limiter l’appréhension d’une telle question à un débat uniquement d’ordre conceptuel, mais aussi de l’ouvrir à ses dimensions méthodologiques et empiriques. D’autre part, est formulée la contrainte de considération de ce débat à l’échelle de la recherche francophone, de sorte à poser le premier jalon d’une réflexion qui pourra par la suite se compliquer par l’ouverture aux travaux étrangers à cette sphère, comme à des notions n’appartenant pas au trio mis en discussion.

Trois notions abordées au prisme d’un regard disciplinaire convergent

À l’issue de l’écoute des quatre interventions et des débats, nous relevons deux constats.

Premier constat : La table-ronde réunit quatre chercheur.e.s architectes de formation. Second constat : Des trois notions mises en débat, les interventions discutent bien davantage de celles de milieu et de paysage

La notion d’ambiance : autant utilisée et légitime que celles de milieu ou de paysage ?

En guise d’interprétation du second constat, on peut tenter une hypothèse : à la différence de la notion d’ambiance, celles de milieu et de paysage appartiennent à l’appareillage conceptuel d’autres disciplines, en particulier la géographie, tout comme elles font l’objet de nombreux travaux de philosophes, d’écologues, de paysagistes et d’architectes. Par ailleurs, on relève un point d’étonnement relatif au fait que deux des trois notions traitées dans le cadre de débat, celles de paysage et de milieu, le sont au travers, presque seulement, des pensées, respectivement B. Lassus et A. Berque. Il s’agit là d’un effet classique de composition du panel, et l’on sait qu’avec d’autres invités, la généalogie des ambiances architecturales et urbaines aurait par ailleurs pu être tout autant débattue, tout comme d’autres auteurs de référence auraient pu être mobilisés. On remarque aussi un effet de la consigne relative au débat, invitant les protagonistes à se concentrer sur la recherche francophone. Néanmoins, on se demande si, sans le dire explicitement, cette asymétrie de référence à chacune des notions ne traduirait pas une inégale ampleur de leurs fondations historiques et disciplinaires, ce qui marque d’autant plus au sein d’une rencontre AAU.

Pour quelles raisons la notion d’ambiance peine-t-elle encore à s’énoncer, à part égales d’autres, comme un des paradigmes compréhensifs d’une des modalités d’articulation entre sociétés et environnements ? On peut esquisser quelques pistes d’interprétation qui pourraient donner lieu à de plus amples travaux : relative jeunesse de la notion par rapport aux autres ; marquages « territoriaux » des disciplines ; relations de complémentarité ou d’exclusivité avec d’autres notions proches encore trop floues pour certain.e.s etc.

Un enjeu de considération des effets de la mise en pratique de ces notions

Le premier constat, n’est pas sans conséquences sur la forme des interventions et sur le débat. On remarque premièrement une appréhension pragmatique des notions mises en débat. Point de recherche, ni de querelle sur les définitions. Pas         d’appréhension ontologique des notions, mais une focalisation immédiate sur les manières possibles d’utiliser ces concepts et sur leurs conséquences. En particulier, les interventions ramènent les notions débattues sur le champ de la conception : comment sont-elles utilisées sur le plan pratique, de quelles manières, suivant quels objectifs et avec quelles conséquences ?

Ce positionnement a aussi à voir avec la spécificité de l’approche relative aux ambiances architecturales et urbaines dans le monde francophone, où elles sont articulées dès leurs fondements à la question de la conception, ce qui n’est pas nécessairement le cas de l’approche en termes d’affective atmospheres, telle que déployée dans la géographie anglophone. Une des conséquences de cette articulation forte au champ de la conception est la place importante accordée aux questions méthodologiques au sein des interventions, dans lesquelles on rappelle de manière indirecte que ces notions se façonnent par l’usage qui en est fait et qu’elles ne se prennent pas – en tout cas dans le cadre de ce débat – pour des entités données qu’il faudrait appréhender de façon fixiste.

Concernant la notion de paysage, les communications montrent davantage à quel point celle-ci revêt une dimension empirique et pragmatique. Elle renvoie, comme le souligne Y. Nussaume à propos de l’enseignement de B. Lassus à la construction de méthodologies spécifiques d’appréhension des lieux qui engagent à la fois l’appareillage sensoriel, mais aussi une posture engageant des formes de mise en situation des corps et d’empathie de la part de celles et ceux qui visent à le qualifier. Elle est une manière, selon P. Amphoux, de caractériser la dimension poétique qui se joue à l’articulation du sujet à son environnement et permet ainsi l’expression d’un mode d’être au monde. Sont également soulignés les usages pratiques qui sont faits de la notion de paysage comme objet, voire outil, d’action publique. F. Pousin évoque ainsi la construction de typologies d’unités de paysage à des fins de caractérisation dans le cadre des Organisations régionales d’aménagement des aires métropolitaines (OREAM) de la France des années 1970, tandis que T. Manola évoque de quelles manières l’environnement sensible fait l’objet d’interventions à travers des « politiques publiques du paysage ».

Deux perspectives pragmatiques pour prolonger les débats

Un chantier continu concernant la capacité de circulation des notions entre les disciplines

Un premier enjeu qui se dégage des constats précédents concerne la capacité d’échange, de communication avec les autres disciplines, avec les acteurs et décideurs ainsi qu’avec le grand public. Comme évoqué plus haut, les notions de paysage et de milieu ont été davantage discutées. De plus, quand il a été question d’ambiances, la notion a surtout été abordée dans ses rapports avec les autres. On propose pistes à mettre en œuvre à partir de là.

Premièrement, un effort de clarté dans l’usage des notions importées d’autres disciplines. Ainsi, bien que les débats de cette journée aient privilégié une appréhension pratique des notions en jeu, il convient de continuer à s’assurer que les usages qui en sont fait restent compatibles avec les modes de compréhension issus des disciplines qui sont à leur origine. A titre d’exemple, on peut se demander jusqu’où une notion aussi visuelle que celle de paysage peut s’accommoder d’autres modalités sensibles sans perdre en consistance et en compréhension ?

Deuxièmement, une prise en compte continue des modes de compréhension extérieurs aux nôtres. Il a été rappelé l’enjeu de se rappeler ce que chacune de ces notions permet de faire. T. Manola propose que milieu, paysage, ambiances sont toutes des « portes voix du sensible », mais elles ne le font pas de la même manière, en particulier dans les projections de nos interlocuteurs. Cela souligne l’enjeu de prise en considération du pouvoir évocateur et des représentations associées à chacune de ces notions. Concernant en particulier le monde de l’action, il semblerait que les notions de paysage comme de milieu suscitent plutôt l’évocation d’environnements « naturels », là où celle d’ambiance peut potentiellement plus résonner avec l’idée de mondes aménagés ou artificialisés. Comment assurer le partage du sens des notions dans des contextes pratiques où leur définition ne semble plus devoir être nécessaire ?

Troisièmement, prolonger les efforts de positionnement des notions. Étant donné que les notions de paysage comme de milieu appartiennent à la grammaire fondamentale d’autres disciplines, il nous semble qu’un chantier de réflexion sur leurs limites permettrait de dégager plus clairement une place à celle d’ambiance, qui pourrait potentiellement venir s’inscrire plus légitimement à leurs côtés, en complément d’autres, comme celle d’espace, de région, de territoire etc.

Interroger les postures rendues possibles par ces notions

La recherche sur les ambiances architecturales et urbaines montre bien qu’elles sont tout autant un objet qu’une approche (par les ambiances). Celle-ci implique des modes d’attentions particulier à l’environnement des sociétés, visant à ne pas le réduire à une seule dimension, mais à le compliquer en observant ses dimensions sociales, sensibles, matérielles etc. À quelles conditions pouvons-nous étendre un tel raisonnement aux deux autres notions en débat dans cette matinée ? Quelles seraient les implications d’une considération du paysage ou du milieu comme des modes d’approche ? Des pistes ont été évoquées, qu’il s’agisse des « croquis d’ambiance » (F. Pousin), des méthodes d’imprégnation (Y. Nussaume), ou encore d’une posture de type « paysagère » (P. Amphoux), qui sont autant de manières de mettre la notion de paysage au service de la méthodologie.

Pour prolonger ces propositions, il nous semble que la perspective d’enquête sur les modes de complémentarité, et/ou les différences entre les notions discutées, considérées en tant qu’approches serait particulièrement féconde. Il serait ainsi question de se demander ce qu’une approche paysagère, une approche médiale et une approche par les ambiances impliqueraient et permettraient. Quels seraient les conséquences de ces modes d’appréhension face à des espaces, des configurations, des situations, différentes ? Quelle seraient leurs efficacités respectives afin d’échanger, de communiquer, voire de rendre des comptes, tout en tenant compte de la diversité des interlocuteurs possibles ? En guise d’hypothèse face à ces interrogations, on se demande si la notion de scape, suffixe des landscape, soundscape, taskscape mais aussi utilisé dans des contextes plus lointains (technoscape par exemple), pourrait être une piste de réflexion sur l’articulation des trois notions discutées au cours de cette matinée. Dans un tel cas, si le paysage est un type de scape, quels seraient les scapes relatifs au milieu ou à l’ambiance ?

Ecouter le podcast sur la chaine CanalU des rencontres AAU


OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Damien Masson (24 novembre 2022). Ambiances, milieu, paysage : actualités et perspectives d’un débat fondé. Fabrique du sensible & mutations des espaces habités. Consulté le 18 février 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/tlws


Damien Masson

Maître de conférences en urbanisme, CY Cergy Paris Université, membre du laboratoire PLACES, chercheur associé à l'équipe Cresson du laboratoire Ambiances, Architectures, Urbanités.

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